« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau » écrivait Paul Valéry.
Au delà de l’aspect physiologique de la peau, Didier Anzieu , dans son ouvrage intitulé « Le Moi-Peau » nous en propose une vision plutôt psychanalytique.
Dans les année 1970, un concept nouveau fait son apparition: Le Moi-peau.
La notion de moi-peau a pour but d’expliquer comment se construit le sentiment d’existence et d’identité du bébé au travers de la peau et des sensations qu’elle transmet.
Il s’agit de comprendre comment se constitue le Moi au sens de « moi différent des autres ».
Didier Anzieu va introduire le corps comme dimension de la réalité humaine, comme ce sur quoi s’étayent les fonctions psychiques de l’individu. Ainsi, le moi s’étaye sur un moi corporel.
Avec le concept de Moi-Peau, on voit nettement apparaitre ce que la psychologie biodynamique de Gerda Boyesen avait déjà initié dans les années 50 c’est à dire une corrélation évidente entre la psyché et le corps.
Cette théorie s’appuie sur le fait que le tout petit reçoit les gestes maternels tout d’abord comme excitation puis comme communication. C’est à travers les soins corporels et les communications pré-verbales précoces que l’enfant va commencer à sentir et à différencier la surface de son corps. Il intègre petit à petit que sa peau compte une face interne et une face externe, permettant la distinction entre le dedans et le dehors.
Cette peau qui relie toutes les parties du corps est un tout unificateur; elle devient un contenant. C’est l’ interface entre l’intérieur et l’extérieur du corps humain.
L’instauration du moi-peau répond à un besoin d’une enveloppe narcissique et assure à l’appareil psychique la certitude et la constance d’un bien être de base.
Le moi-peau trouve son étayage sur trois fonctions de la peau:
- c’est le sac qui retient à l’intérieur le bon et le plein
- c’est la surface qui marque la limite avec le dehors et contient celui-ci à l’extérieur
- c’est un lieu et un moyen d’échange avec autrui.
La Théorie
Le Moi-peau n’est pas uniquement un concept, il est le contenant d’une théorie psychanalytique complexe que D. Anzieu a « peaufiné » pendant un peu plus de vingt ans.
D. Anzieu va proposer une conceptualisation de l’enveloppe psychique comprenant deux couches différentes dans leur structure et leur fonction. Ce qui nous rappelle les deux feuillets embryologiques prémices de la constitution de la peau et du système nerveux.
- Un feuillet externe, périphérique, tourné vers le monde extérieur qui fait écran aux stimulations externes et protège la réalité psychique.D’une part, il laisse passer une partie de l’excitation ; celle-ci, selon sa nature, sa localisation, son identité et ses périodes, produit soit un plaisir d’excitation , soit une douleur. D’autre part, ce feuillet périphérique maintient dans un système fermé la montée pulsionnelle interne jusqu’au point où la décharge devient nécessaire et possible grâce à la présence et à la disponibilité de l’objet du désir.
- Un feuillet interne, mince, souple et sensible aux signaux sensoriels, kinesthésiques qui apporte le bain sensoriel permettant le fonctionnement de la psyché. Cette pellicule permet l’inscription de traces mnésiques tout en filtrant les sensations.
Cette structure topographique à double enveloppe permet et constitue le fonctionnement psychique de l’enfant qui acquiert alors un moi corporel. Le Moi-Peau est donc une sorte de peau psychique qui est une métaphore de la peau biologique.
Le Moi-peau est également une enveloppe de maternage. Dès la vie intra-utérine lors de laquelle s’ébauche le système perception-conscience du nourrisson, l’utérus maternel est vécu comme le sac qui maintient des fragments de conscience.
Par la suite, la mère « enveloppe » le nourrisson de ses soins, en s’efforçant de satisfaire les besoins psychiques et physiques de celui-ci. Si elle y a réussi, le nourrisson intériorise cette mère suffisamment bonne. Il acquiert les expériences sensorielles de la peau à l’occasion de contacts et de corps à corps avec sa mère dans une relation sécurisante. Ce sentiment de base procure les sensations d’intégrité corporelle et permet aussi une différenciation dedans/dehors et une différenciation du moi.
Dans les interactions mère/bébé, le Moi-peau maternel contribue à la constitution du Moi-peau du bébé partant d’une interface qui peut être figurée par le fantasme d’une peau commune aux deux. L’interface se transforme par la suite en système de plus en plus ouvert et le nourrisson acquiert un Moi-peau qui lui est propre.
Nous constatons de manière évidente que la peau, organe physiologique est le médiateur de sensations physiques et environnementales par excellence. De part cette qualité remarquable, elle participe à l’élaboration de la vie psychique de l’individu. Chaque ressenti, plaisant ou non, chaque attitude parentale, environnementale laisse invariablement un stigmate inscrit durablement dans le corps et l’esprit de l’individu en devenir. Ces traces , ces souvenirs encapsulés dans le corps peuvent créer de réels empêchements ou pathologies chez l’être humain.
Gerda Boyesen, après de longues années de recherche et d’études de cas a découvert que l’accumulation de ces stigmates créaient des zones de tensions corporelles qui troublaient la qualité d’autorégulation du corps. Par le biais de massages spécifiques , d’une présence à soi sans faille et d’un accueil inconditionnel, elle a remarqué au fur et à mesure des séances qu’elle réalisait, que le corps retrouvait sa capacité de retour à l’homéostasie. Les bruits de digestion intestinale conjugués à l’émergence de souvenirs inconscients lui ont valu d’être une pionnière dans la découverte de la digestion physique des émotions emprisonnées dans le corps. Sous ses mains entrainées, elle fit naître la notion de « psychopéristaltisme ».
Thanks!